Eve Olivier et Ama Masoniel 

Mentir : adulte tu as le droit, enfant tu es puni

Temps de lecture : 10 minutes  

Le récit d’Eve Olivier

Hier, j’ai participé à une formation sur l’écoute des enfants. Un public d’avocat(e)s. La question était de savoir si un enfant devait être consulté par ses parents sur les décisions à prendre « le concernant ». Comment il va vivre après la séparation de ses parents, à quelle école il ira, à quelle église il voudra appartenir, peut-il choisir sa religion, est-ce qu’il est d’accord pour être adopté, porter le nom de sa mère, perdre le nom de son père, etc etc etc. 

Les trois intervenants plaidaient l’écoute systématique des enfants en proposant que soit missionné pour cela un « auditeur ». « Ce n’est pas un commissaire aux comptes ! », s’est empressée de préciser l’intervenante. J’ai appris beaucoup de choses, il était question d’une personne adulte formée pour écouter l’enfant sans l’analyser, sans le conseiller, sans l’éduquer,  et l’aider à s’exprimer en étant juste comme un mégaphone humain gentil qui permettrait à l’enfant d’être compris, à tout le moins écouté, parce qu’un adulte écoute toujours plus et mieux un autre adulte, surtout s’il représente une forme d’autorité, qu’un enfant.  Un porte-parole qui ne fait la leçon à personne. Le rêve. Il faudra que je le prévoie dans le Codecivelle, cet auditeur ! 

Mais ce n’est pas le sujet de cette chronique.  

Au cours des discussions, il a été question de « démocratie familiale », de donner des informations claires aux enfants, de soutenir leur parole auprès de leurs parents surtout s’ils se séparent, d’éviter aux enfants d’aller au Tribunal pour défendre un parent contre l’autre en cas de procès, d’arrêter ces auditions devant le juge qui causent des traumatismes aux enfants. Et de décrire les salles d’attentes des cabinets des juges aux affaires familiales, surbondées le mercredi après-midi entre les avocats, les parents grimaçants et les enfants perdus. Tout le monde entassé au même endroit et les enfants passant éventuellement de papa à maman avant d’être entendu. L’enfer. 

Dans la salle de formation, il y avait des hochements de tête généralisés, sourires, acquiescements vigoureux, espoirs… Nous, les avocats, on est idéalistes. 

Et puis, une avocate s’est levée : « Merci pour vos explications, c’est bien de savoir que ça existe, l’auditeur. J’ai une question ! Si un enfant est auditionné et qu’il ment, qu’est-ce qu’il se passe ?« . L’intervenante : « (haussement d’yeux et air un peu sévère) Parce que les adultes ne mentent jamais peut-être ?« . L’avocate reprend en ajoutant des explications qui m’ont semblées abracadabrantesques : « Non mais parce que j’ai eu le cas. Une fille de 15 ans a demandé devant le juge à vivre avec sa mère en accusant le père de l’injurier, or cela s’est avéré faux et en plus la fille a tout le temps un casque sur les oreilles !« .  

Je me suis demandé : qui ment dans cette histoire ? La mère, le père, la fille, les avocats ?…

Au-delà de tout ce que cela révèle de la façon dont on écoute les enfants en « justice », apparaît ce phénomène insidieux par lequel un parent – en colère contre son ex et certain qu’il est le seul à pouvoir correctement éduquer l’enfant – l’amène à la certitude qu’il doit vivre chez ce parent-là. Cela se fait inconsciemment. L’enfant est imprégné de la croyance du parent, lui-même influencé par sa colère, son entourage, ses représentations, sa peur, la stratégie de négociations financière proposée par son avocat…  

J’ai un adage : « Tous les parents sont des manipulateurs de bonne foi ». Quand je dis ça à mes clients, ils restent cois, parce qu’ils savent que c’est vrai. Eve dont c’est le métier est d’accord. C’est la base de l’éducation : formater la pensée des enfants ainsi que leurs comportements. “C’est pour son bien, pour qu’il devienne un adulte responsable”. Donc, quand un parent met des idées dans le crâne de son enfant, pensant bien faire, son enfant le croit, puis quand l’autre dit l’inverse, l’enfant le croit aussi. Et si l’enfant s’approprie en fin de compte une version, c’est qu’il y il y croit dur comme fer (en général il protège instinctivement celui qu’il perçoit comme le plus fragile). Et ce, quel que soit son âge – étant rappelé que les adultes sont souvent de grands enfants. 

On a appelé cela « le conflit de loyauté » : quand un enfant dit noir à sa mère et blanc à son père. Et on trouve cela particulièrement problématique, parce que… « La vérité sort de la bouche des enfants« . C’est vrai !! Les enfants ont le sens de la vérité et de la justice. Ils ont des réflexes éthiques infaillibles. Ils savent intuitivement quand quelque chose ne tourne pas rond. Et quand ils disent noir ils pensent noir, et quand ils disent blanc, ils pensent blanc !  

Nous, adultes, nous sommes aussi influençables. Que l’on s’observe devant un débat télévisé, soumis aux fakes news, aguichés par la publicité et les pages modes, à demander conseils à nos proches, conjoint(e)s, ami(e)s, profs, psys, gourous pour savoir quoi faire…  

Nous aussi nous changeons d’avis, de perceptions, de convictions. Nous aussi, on peut nous retourner comme des crêpes. Mon père disait souvent que “Les hommes, c’est comme les lapins, ça s’attrape par les oreilles” (en fait, ce serait de Mirabeau). C’est si juste. 

Il faudrait aussi rappeler que… la vérité n’existe pas. Vous savez que le ciel n’est pas bleu, que la mémoire n’est pas fiable, que nos perceptions même de la réalité sont perpétuellement biaisées. Il en résulte que la Justice absolue n’existe pas… et le juste est toujours une question d’écoute et d’équilibre… 

Alors, qui ment ? Et pourquoi trouve-t-on cela inacceptable qu’un enfant éventuellement mente alors que l’on peut supposer que ses parents dans la procédure ne s’en privent pas ? 

En droit, on a coutume de dire qu’on a le droit de mentir. J’examinerai ça juste après. 

J’ai interrogé une psy pour savoir si les menteurs étaient des dérangés, elle m’a dit « Ah moi le mensonge ne me dérange pas. Celui qui ment, c’est son problème, ce n’est pas le mien« . 

J’ai été très troublée. Un moment, j’ai cru que j’avais une névrose, à ne pas accepter le mensonge.  

Parce qu’aux enfants, on dit que c’est interdit. Les enfants sont généralement punis ou a minima bien grondés quand ils mentent. Irène me racontait qu’enfant elle avait été accusée à tort de mentir et qu’elle n’avait jamais vécu expérience aussi pénible : d’être injustement accusée, de ne pas pouvoir prouver le contraire (puisqu’on pensait qu’elle mentait de toutes façons), d’avoir subi un regard noir et une réprimande froide et humiliante. 

C’est quand même injuste, que les enfants soient punis et pas les adultes.  

Faut-il interdire le mensonge pour tous ou autoriser le mensonge pour tous ? 

 

L’oeil d’Ama Masoniel pour le Codecivelle 

Le Code civil n’interdit pas le mensonge en tant que tel. Il n’a été posé aucune règle qui interdise de mentir, c’est à dire de travestir la vérité ou la réalité. On trouve un seul texte dans ce Code qui traite du mensonge : l’article 1137 du Code civil, qui définit le dol 

Le dol est susceptible d’affecter les conditions de validité d’un contrat. C’est “le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre à un contrat par des manœuvres ou des mensonges”. On remarque que le texte assimile manœuvre et mensonge. Or, une manœuvre, ce n’est pas forcément négatif. Le texte ajoute qu’on a le droit de berner son acheteur sur la valeur du bien en précisant :

 » (…) Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation« .

Le Code précise ensuite qu’un contrat n’est pas automatiquement nul si l’un des contractants a menti. C’est écrit aux articles 1130 et suivants du Code civil. Un contrat peut être annulé s’il a été signé sous l’effet d’un dol, si et seulement si sans ce dol, le contrat n’aurait pas été conclu ou l’aurait été à des conditions « substantiellement différentes”. “Ce caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes, et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné”.  

 L’achat d’un tapis à 2 francs pour 50.000 € à un démarcheur menteur sera éventuellement annulable si c’est une vieille dame sénile qui l’a acheté, mais pas si l’acheteur est jeune ou bac + 5.  

 Conclusion : pour voir si le contrat est nul, on regarde l’affaire du côté de celui qui s’est fait berner et non du côté de celui qui a menti. 

Evidemment, le mensonge est réprimé par certains textes : c’est le cas dès lors qu’il a été réalisé sciemment pour appauvrir quelqu’un ou porter atteinte à sa personne. On trouve des textes sur l’escroquerie, le faux, la fraude à la loi, le travail dissimulé, l’abus de confiance, l’abus de biens sociaux…  

Il n’en demeure pas moins que le mensonge en tant que tel n’est pas un délit. 

On a même le droit de mentir dès lors que la “justice” est engagée. On a le droit de mentir à un policier ou un gendarme, on a le droit de mentir à un juge. C’est d’ailleurs souvent sur des mensonges que reposent les écritures judiciaires, en toute bonne foi bien sûr de la part des avocats (hum), à charge pour le juge de se faire “une juste et libre appréciation” de l’affaire pour rendre une décision “juste”.  

 Pour protéger le droit de mentir en justice (sic), l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 a prévu qu’aucun discours prononcé ni aucun écrit produit devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à poursuite pour diffamation. Le droit de se taire et de ne pas dire quoique ce soit qui desserve sa défense est un droit civil et politique considéré comme fondamental (voir l’article 14 – 3 g) du Traité international des droits civils et politiques de l’ONU :

“Article 14 – 3. Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : g) A ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable. »

Ce droit de mentir est offert à l’accusé, mais pas au témoin qui prête serment de dire la vérité. C’est la force du serment qui est une parole plus engageante que tout contrat et que toute règle de droit parce qu’elle met en jeu l’honneur de la personne.

 Donc, mentir est une liberté, qui a pour seules limites celles posées par la Déclaration Universelle des droits de l’homme : autrui et le respect de la loi (article 4 de la DUDH de 1789). 

 Sauf pour les enfants il me semble. Je n’ai jamais vu un parent ou un adulte considérer que l’enfant qui ment est intelligent, stratège, rusé (comme Ulysse aux mille ruses). Alors que comme tout adulte, s’il ment, c’est le signe qu’il cherche son autonomie d’une certaine façon. Il cherche à tirer son épingle du jeu, voilà tout. Manquant de force, il use de son adresse. Et souvent, on croit qu’il ment, alors qu’il est sincère ou qu’il se trompe. 

 Regardant rapidement quels conseils sont donnés aux parents confrontés aux mensonges de leurs enfants, l’on voit bien que cette histoire de mensonges pose difficultés et qu’on ne doit montrer aucune complaisance à leur égard, sauf à en faire de futurs délinquants. Il y a par exemple cet article « Comment trouver la bonne punition » où une psy réputée nous dit qu’il est important de punir pour enseigner la loi. 

La punition, voilà un beau pouvoir légal de “l’autorité parentale” : les parents peuvent arbitrairement fixer leurs règles et leurs sanctions derrière la porte de la maison et interdire à leurs enfants ce qui leur est permis. Cela évolue toooouuut doucement. L’interdiction des violences éducatives ordinaires ne date que d’une loi du 10 juillet 2019… 

Adultes, enfants, deux poids deux mesures. Alors, on autorise le mensonge pour tous ou on l’interdit pour tous ? 

Les enfants méritent de se voir reconnaître le droit de mentir à l’égal des adultes, pour avoir une chance de s’en sortir. Dans les mêmes limites que celles de leurs parents. Toute punition pour simple mensonge sera interdite.  

D’ailleurs, le Codecivelle, toute punition envers les enfants a vocation à être interdite.

 Je propose une réforme, ou plus exactement, plusieurs.

 

Proposition de réformes 

Livre III : Des relations entre les personnes humaines  

Titre 2 : De l’attention 

 Article 153 : (Du devoir moral de développer son attention)

« Chaque personne, quels que soient son âge et sa situation, a le devoir moral de développer son attention à soi, à autrui, et aux choses, dans la mesure de ses capacités personnelles selon son âge et son état de santé. L’attention est la disposition à faire preuve de prudence, de respect et de délicatesse afin que toute action ou parole soient réalisées ou prononcées de façon à causer le moins de souffrance ou de destruction possible.»  

 Article 158 : (Du devoir de sincérité et de loyauté)

 Chaque personne, quels que soient son âge et sa situation, s’efforcera, dans la mesure de ses capacités personnelles selon son âge et son état de santé, d’agir sincèrement et loyalement envers soi et envers autrui. Dès lors qu’une relation se développe entre des personnes, ayant pour effet une interaction de quelque nature que ce soit (émotionnelle, sentimentale, sociale, physique, matérielle), chacun s’efforcera à l’égard de l’autre, de mener des actions et de prononcer des paroles sincères en s’abstenant de toute manipulation ou mensonge. On entend par mensonge une parole qui contredit délibérément la réalité pour amener une personne à penser, parler ou agir par erreur. 

 Si un mensonge apparaissait avoir été prononcé, chaque personne s’efforcera de vérifier si la qualification de mensonge se base sur un malentendu, une intention louable, la nécessité de sauvegarder des intérêts supérieurs à la situation, ou une impossibilité d’agir autrement. 

 Si les parties ne parviennent pas à s’accorder sur la prise en charge des effets  du mensonge ni à se pardonner, elles chercheront à résoudre leur conflit conformément aux dispositions du Livre V “De la résolution des conflits”.” 

Titre 5 : Des relations familiales

Sont abrogés les articles 371 et 371-1 du Code civil en vigueur actuellement qui disposent :

Article 371 : L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.

Article 371-1 : L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité

 

Ils sont remplacés par :

Article 371 : (Du respect dû aux enfants)

« Les enfants, quel que soit leur âge, doivent être traités avec honneur, considération et respect par les adultes. »

Article 371-1 : (De la direction parentale dans l’intérêt de l’enfant)

  » La gouvernance familiale est assurée sous la direction des parents en concertation avec l’enfant. La direction parentale est un ensemble de devoirs et responsabilités ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Les parents n’ont pas de droits sur l’enfant qui n’est pas un animal domestique, ni un objet leur appartenant.

La direction parentale appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

La direction parentale s’exerce sans menaces, pressions, mensonges ni violences physiques ou psychologiques. Toute punition quelle qu’elle soit à l’égard de l’enfant est interdite. »