On ne va pas y aller par quatre chemins : la sacro-sainte responsabilité civile fondée sur le pilier “je subis un préjudice – je cherche le fautif – il me doit réparation”, ça ne va pas du tout. Il est en train de nous perdre. Il est posé par l’article anciennement 1382 du Code civil (un article que l’on retient par cœur car on s’en sert tout le temps quand on est avocat) devenu l’article 1240 du Code civil, dont la rédaction est restée identique au Code de 1804 : ”Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.” 

Avec la responsabilité civile comme pilier de pensée et de moyen de réparation, est consacré le principe du bouc émissaire et de la vengeance.  

Nous sommes aujourd’hui obnubilés par cette fameuse responsabilité civile, et son fils légitime le “principe de précaution” est en train de nous rendre malades. Il y a un emballement de la volonté de contrôle dont témoignent le déchaînement législatif (un problème = une loi), l’inflation du nombre de séparations et de divorce, les procès incessants faits à nos gouvernants dès lors qu’une crise ou un scandale émerge (voir par exemple les plaintes intentées dès le 1er confinement lié au virus de la Covid qualifiées de “déluge de procès”). Comme si on ne faisait pas, la plupart du temps, du mieux que l’on peut. Comme si l’imprévisibilité n’existait pas. Comme si nous étions omnipotents. 

Dans le domaine de la famille, des couples, des enfants, c’est patent. On a envie d’un autre partenaire ? C’est l’autre qui se laisse aller, ou la vie qui est trop stressante et on a besoin de s’évader : c’est sans conséquence, une petite aventure non ? On va voir le psy de couple, l’avocat, le juge. Ils ne font pas droit à nos arguments ? Ils ne nous soutiennent pas, sont incompétents. Nous crions trop fort sur notre enfant ? Il l’a bien cherché. On ne va quand même pas s’excuser. Ce serait le monde à l’envers ! On reçoit des messages désagréables de notre futur ex ? Il/elle nous harcèle, nous pousse à bout, nous violente. Sans voir que nous-mêmes (généralement) nous avons à peu près la même attitude. 

Ces réflexes de plainte témoignent de graves failles dans nos façons d’appréhender le malheur :

1. Nous restons paternalistes (donc patriarcaux) : papa (le ministre, le juge, le père, le prof, le patron…) va me protéger, me sauver, il est là pour ça. Nous demeurons infantiles. Sans force, sans pouvoir d’action, sans prise de responsabilité, sans discernement personnel par rapport à la situation. Nous manquons d’autonomie. Et dans le même temps, nous n’allons plus voter…

2. Nous nous plaignons, ce qui accroît notre malheur. François Roustang l’explique très bien dans son ouvrage “La fin de la plainte” : « La plainte est une fixation répétitive qui alimente le chagrin au lieu de l’épuiser. ». Ce qui accroît l’impression d’impuissance. Donc l’inaction. La plainte empêche la résilience : tant que nous nous plaignons, nous ne pouvons pas aller mieux. 

3. Nous cherchons un bouc émissaire au lieu de se regarder en face. Nous nous focalisons sur l’autre au lieu de nous occuper de nous-même et de notre participation au phénomène. Un rapport de forces s’installe, Pour revenir à la crise Covid, nous avons accusé les chinois, les ministres, l’industrie pharmaceutique… en n’ayant qu’une hâte c’est de reprendre l’avion pour faire du tourisme et de consommer à outrance. Mais… la crise de la Covid ne serait-elle pas liée à la mondialisation et au réchauffement climatique ? Les tests PCR et masques n’ont-ils pas pollué un peu ? Et si papa / le Président / qui sais-je figure d’autorité ne me sauve pas, il devient mon bourreau : il est incompétent ou méchant. On accuse, on blâme, bref c’est toujours de la faute de quelqu’un.

4. Nous manquons de solidité, d’intelligence et de patience pour faire face à l’imprévu et l’incontrôlé. Il faut lire « Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible” de Massim Nicholas Taeb. C’est exceptionnel. Tous nos biais cognitifs de perception et notre incapacité intellectuelle à faire face à ce qui sort de nos habitudes y sont décrits et expliqués. A noter d’ailleurs que Taeb estime que la crise Covid n’est pas un “cygne noir” et que ce genre d’épidémies n’ont rien d’imprévisible. Nous ne savons simplement pas y faire face.

 5. Nous luttons par le rapport de force, soumis à une vision binaire d’opposition, dans une logique de “c’est lui ou moi”, au lieu de chercher à s’entendre. Or dans le monde il y doit y avoir de la place pour chacun. 

 6. Nous sommes un peu mégalos, à croire que l’humain a la capacité d’éviter tout “préjudice” (ce qui est nécessairement sous-entendu par la punition du coupable : il doit payer car il aurait dû pouvoir l’éviter). Nous manquons d’auto-critique, d’altérité, de maturité. Nous semons le chaos et le conflit, et comme le conflit est pénible, on accuse l’autre et ça recommence sans fin… Que de solitudes… 

Chez Codecivelle, ce qu’il nous semble, c’est que les personnes blessées peuvent aussi décider de chercher à s’adapter à la situation imprévue, sans pour autant rechercher un fautif et une réparation. On n’est pas obligés de commencer par s’énerver. On est aujourd’hui capables d’avoir accès à une pensée qui fait de la place à la complexité. Nous savons que la volonté est de peu de poids dans nos actions et que nous sommes aujourd’hui intégrés à des réseaux d’interactions bien plus nombreux qu’il y a ne serait-ce que 40 ans.

Supporter l’imperfection et assumer le risque, c’est un état d’esprit : éviter les réactions d’orgueil, d’intolérance ou de peur, et c’est aussi un travail : apprendre à surfer avec l’imprévu et chercher à comprendre au lieu de se venger sur l’autre.

Il y a des tas de pratiques et traditions millénaires qui permettent d’apprendre cela : arts martiaux, méditation, communication non violente, philosophie non-violente, hypnose intuitive, lecture de grands penseurs sur la non-violence…  Il paraît qu’il suffit de 21 jours pour arrêter de se plaindre  : comme ça, au passage, on arrêtera de râler sur nos enfants…

Nos lois seront donc simplifiées, et orientées vers l’autonomie et l’appel à l’intelligence de chacun vis-à-vis de soi, des autres et des situations. Parce qu’on ne peut pas tout prévoir.

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