Irène Aniochka et Ama Masoniel  

Une année sabbatique (et si on parlait du célibat ?)  

Temps de lecture : 7 minutes

Le récit d’Irène Aniochka

Juillet de l’année X. C’est décidé. Je prends une année sabbatique. Sexi-senti-mentale. Pas de mec, pas de sexe, pas de romance. Pendant au moins un an.  

Délivrée de l’état pseudo-amoureux hallucinogène, tyrannique et versatile (celui qu’on croit être l’état amoureux et qui est juste une malice de notre esprit pour se divertir et avoir le sentiment d’exister). Délivrée de la pensée que je suis incomplète si je n’ai pas d’amant(s), de partenaire, de conjoint. De l’injonction ambiante d’avoir prétendument à servir ma libido, comme si je devais obéir à tous les mouvements internes de mon corps pour assouvir toutes ses demandes, comme un bébé qui aurait faim. Enfin soulagée, par cette décision même, de l’inquiétude d’être anormale (triste, névrosée, revêche, blasée, désabusée, miséreuse…) si je ne cherche pas, même sans y penser, celui qui chaussera parfaitement mon pied. Je tourne le dos à toutes les recommandations psycho-médicales (on vivrait plus longtemps et mieux à deux) et aux remarques soi-disant rassurantes « Je suis sûre que tu vas trouver, tu le mérites« .

Seule = anormale, incomplète, frustrée ? Tara Brach dans son ouvrage « L’Acceptation radicale » appelle cette manie de s’auto-dévaloriser la   » transe de déconsidération « . Cette tendance, finalement délirante, à toujours s’en vouloir de ce que nous sommes. Comme si ces petites voix internes étaient autant de petits fantômes, diablotins, anges ou dieux qui, nous habitant de l’intérieur, nous feraient une morale permanente.  

Inventions pures de notre esprit négatif  ! 

Les fantômes n’existent pas.  

Je m’offre un retour à l’état naturel : celui de tout simplement exister. Un point c’est tout. Exister et ne faire que ça, pendant au moins un an.  

Ce n’est pas du « célibat ». C’est du « rien ». 

Ce n’est pas de la solitude. J’ai des amis, une famille, des enfants, des collègues, une associée et une assistante, des voisins, des commerçants, des profs, des copains, des clients, et même des « prétendants » … Je ne suis pas seule du tout. Je me sens entourée, aimée. 

Ce n’est pas du retrait. Je reste pleinement dans le monde et dans ma vie. 

C’est ETRE.  

La course à la « relation à deux », je laisse tomber. Les « relations légères », je laisse tomber.  

Je laisse tout tomber.

Cette phrase tourne et m’entoure de sa sollicitude voire de sa tendresse : « Oui, tu peux. Laisse tomber. Accorde-toi cette paix. » 

L’air circule fraîchement et librement dans ma poitrine. Mon visage se détend. Mes membres s’animent. Je sens ma peau en contact avec la vie, mon sang battant, mon regard est plus haut et plus vif. Je suis. Je ne cherche rien. 

Un an d’espace. D’expansion. De paix. 

Un an. Au moins. Renouvelable. 

Cette idée d’une pause, c’est arrivé dans ma tête, pendant mes vacances en famille avec des amis, on était bien : piscine, cuisine, vélo, nature, enfants, rigolades, jeux… On me foutait la paix avec mon célibat. L’ombre de la rentrée commençait à pointer : la vie urbaine, les chaussures à talon, les « prétendants », et avec ces candidats masculins hétérosexuels, une impression que ce serait insurmontable. Le cahot de la vie « amoureuse », les rendez-vous, l’intensité de la séduction et le vide sidéral de la rencontre, l’incompréhension permanente, le plaisir fugace et finalement inutile, peu de partage sur le moment et des souvenirs plus que diffus voire imaginaires, la déception, les petits abus qui n’en sont pas parce qu’en fait, j’y étais allée et je n’avais pas dit non, voire j’avais dit oui, et ces blessures à l’image de soi, à l’image de l’autre.  

Les mots sont venus sur mon transat : « C’est plus possible. Je prends une année sabbatique. ». 

J’étais contente avec ma décision. Aérée. En cohérence.

J’ai lu sur les réseaux que la cohérence est l’un des 12 piliers pour s’accomplir (c’était une com’ sur « Oser s’accomplir », Marie-Pierre Dillenseger, géniale « praticienne des arts chinois consacrés aux forces spatiales et temporelles« , c’est dire).

Je peux exister 5 minutes non ? Un an ? 

Séance en septembre sur le divan. J’annonce, ravie, mon nouveau slogan « Je prends une année sabbatique ! Sexuelle et sentimentale ! ». Mon psy fronce, râcle, proteste, il entend cela comme une autopunition. « Vous n’allez pas vous obliger à ne rien vivre pendant un an ?? (sous-entendu : à cause d’un X-man à la noix qui n’a pas été correct) ». M’obliger, certainement pas : m’autoriser, oui.  

Ma sœur, dubitative, me rassure : « Peut-être que prendre cette décision t’aidera à mieux vivre des histoires légères ».  

… Comme j’aime ma sœur, j’essaye. Un rendez-vous, une disparition… La représentation est finie ? Déjà ? Aucun sens. 

Mes cousines me rassurent : « Bien sûr, tu as raison, c’est quand on ne cherche pas qu’on trouve ». Elles n’ont pas écouté. Je ne cherche pas à trouver en ne cherchant pas ! 

Je – ne – veux – rien. RIEN.  

Incompréhension des un(e)s et des autres, des ami(e)s, scepticisme, regards stupéfaits et suspicieux, je reçois de la pitié aussi. Le vide, c’est inconcevable. Quoi ! Une femme (normale) ne chercherait pas à avoir un homme dans sa vie ? Leur cerveau se fige. 

Après c’est X-man que j’ai connu il y a quelques années (je venais de divorcer, il était marié) qui cherche à me voir. Il cherche nouvelle maîtresse car son actuelle donne des signes de faiblesse. Au déjeuner, je lui explique qu’il n’a aucune chance : « Je prends une année sabbatique » (sourire malicieux de ma part). Il se révolte : « Ce n’est pas possible ! Moi si je n’ai pas une perspective sexuelle ou amoureuse, ma vie n’a aucun sens ! ». Il se prend la tête entre les mains, choqué.  

Je rétorque animée : heureusement que la vie a un sens sans « perspective » sexuelle ou amoureuse, sinon c’est la moitié de l’humanité qui se jette dans le fleuve ! Ma vie a plein de sens ! Enfants, travail, spiritualité, théâtre, écriture, militantisme, art, sport, que sais-je… 

Un autre X-man ironise en lisant mon implacable résolution : « Il peut se passer beaucoup de choses intéressantes pendant le Sabbat… ». Les sorcières, l’excès… Je me venge en lui disant que sa vanne est antisémite (lire ou relire sur le sujet « Sorcières la puissance invaincue des femmes » de Mona Chollet) 

Un sentiment s’affirme :  J’ai 48 ans, et j’ai l’impression que je dois tout reprendre à zéro.  

Alors, pause. 

 

L’œil d’Ama Masoniel pour le Codecivelle

C’est amusant : le Code civil au Livre I « Des personnes » donne les définitions du mariage, du PACS et du concubinage mais pas du célibat.  

Comme si le célibat était un non-état. Comme s’il n’existait pas ou « par défaut ». Le Code Napoléon a posé le mariage comme sous-Etat, où le pater familias gouvernait épouse et enfants en bénéficiant de prérogatives de pouvoirs et de puissance dignes d’une police privée. Cette structure permettait le respect de l’ordre derrière la porte de la maison. (On y reviendra parce qu’on ne peut pas tout écrire en une fois). 

Cette union maritale, instrument politique de contrôle des sujets, garantissait la transmission des patrimoines et noms de famille en lignées. C’était le modèle juridique et moral. 

Encore aujourd’hui, nous sommes sommés de nous unir. Le célibat reste un état « par défaut ». Les lois et politiques sociales continuent de favoriser les couples. Il suffit de regarder la loi fiscale : les célibataires sont imposés plus que les personnes mariées ou pacsées. La loi fiscale est affreusement discriminatoire (étant précisé qu’au regard de la loi, un « divorcé » n’est pas un célibataire, et s’il ou plus souvent elle, vit seul(e) avec ses enfants, il/elle bénéficiera du statut « parent isolé » – mais c’est bien parce qu’il/elle a donné des enfants à la Nation).

Sur ce sujet de la loi fiscale, je viens de découvrir à l’instant – ô joie quand on découvre qu’une idée circule déjà dans le monde par d’autres canaux – ce magnifique plaidoyer (1905) du jurisconsulte Etienne Coquet au Bâtonnier des avocats: « De la condition des célibataires en droit français » où l’on découvre que cette discrimination fiscale est ancienne et a la peau dure, à une époque où plus d’un couple sur deux se désunit. Il conclut : « Qu’on respecte donc notre liberté de célibataires. Celui qui assume les graves responsabilités du mariage doit être alors pleinement libre et conscient. »

Les célibataires méritent de recevoir une reconnaissance juridique pour être perçus à l’égale valeur des membres du couple.

Je propose une réforme.

 

 Proposition de réforme

 Livre II Titre VI 

Chapitre I : Du Célibat :  

Article 555 :

« Le célibat est l’état naturel de toute personne à la naissance. Le couple est une construction sociale. Le célibat est une situation d’indépendance. Le célibataire est libre de tout lien juridique de fait ou de droit avec quelque partenaire que ce soit. Sa cohabitation avec autrui ne le place pas automatiquement en concubinage et ne lui confrère aucun droit sur ou devoir envers l’autre personne. Il a des relations sentimentales et sexuelles avec toute personne de son choix. Il est libre, dans le respect des lois et des règlements. Foutez-lui la paix et arrêtez de lui demander s’il a rencontré quelqu’un. »