Alors, que ce soit clair : en vue de cet article, nous n’avons pas relu « Surveiller et punir » de Michel Foucault et nous n’avons pas fait de recherches sur le pourquoi du comment la punition ou la sanction sont conçues comme piliers incontournables du système occidental de Justice, car, encore une fois, nous partons de notre expérience et du bon sens qu’on nous a donné à la naissance pour (essayer de) tout repenser. Pas de stress, on a fait des études, il y en a là dedans. On est toutes Bac + x. C’est bien une preuve.
On pense simplement qu’il faut arrêter les punitions si on veut avoir une chance de rendre à l’humain son sens des responsabilités, et si l’on veut permettre à la Justice d’être empreinte d’intelligence, de justesse et d’équité (le principe 9 du Manifeste). Et nous ne pouvons que constater que la sanction ne résout jamais vraiment la situation conflictuelle et ne répare pas la souffrance endurée par les personnes.
Quand on s’arrête un moment pour y penser, cela tombe sous le sens. Pour autant, quand une loi est édictée, la première question que se posera un juriste (par exemple, un avocat) c’est « Quelle est la sanction ? ». Et si le non respect de la loi n’est assorti d’aucune conséquence légale telle que la nullité d’un acte, une pénalité ou l’impossibilité d’intenter un procès, alors « tout le monde s’en fout ». En France, on ne peut prendre une règle au sérieux que si elle est assortie d’une sanction.
Pourquoi on « poursuit », c’est à dire pourquoi on fait un procès à quelqu’un ?
Pour demander à l’Autorité Judiciaire de Rendre Justice (c’est le paternalisme, voir le principe 13 du Manifeste).
Pour tenir un Coupable (c’est la recherche de bouc émissaire, voir le principe 11 du Manifeste).
Pour trouver une Vérité sur les événements (qui ne sera reconnue qu’à condition que le juge nous donne raison), c’est à dire pour donner un sens au non-sens, à l’accident, au désordre, à la douleur, grâce à l’interprétation par le Droit (c’est le principe 12 du Manifeste).
Pourquoi on sanctionne ?
Pour se défouler… Pères et mères, regardez-nous dans les yeux… Bien sûr que si vous punissez quand vous êtes énervés et alors vous vous dites « il/elle l’a bien cherché ! ».
Par impuissance à obtenir de l’autre ce que l’on attend de lui. Pour le/la décourager de recommencer.
Pour faire de la « prévention » en croyant empêcher une récidive par l’exemple.
Par abus de pouvoir – car si les enfants avaient la force physique et morale de se défendre, il est clair les parents seraient beaucoup plus prudents…
Pour montrer « QUI FAIT LA LOI ICI ?! ».
Par vengeance : j’ai mal à cause de lui/elle, il/elle doit payer, doit souffrir : c’est juste. « Oeil pour oeil…« , et ce depuis au moins 3.000 ans.
Pour se débarrasser des troubles-silences, des troubles-ordre et des troubles-droit de propriété.
Le problème c’est que cela ne fait pas de bien. Les « poursuites » c’est à dire les procédures judiciaires (ou disciplinaires) sont longues, aléatoires, et souvent violentes (ou vécues comme tel). Quel que soit le sujet (au civil par exemple après une séparation de couple ou au pénal par exemple après des violences sexuelles) : il faut des mois et des mois voire des années avant d’obtenir un jugement qui répondra rarement à l’attente du plaignant, et qui fera l’effet d’un tirage de loterie. Il n’en résulte que peu de compréhension entre les personnes concernées (et pour cause, ce n’est pas le but recherché), pas d’écoute mutuelle, et finalement, aucune réparation réelle.
L’expérience nous montre que ce dont les personnes ont vraiment besoin, c’est d’être écoutées, reconnues et comprises dans l’écheveau de leurs émotions, de leurs croyances et de leurs besoins au moment où les choses se sont passées. Nous voyons que la plupart des conflits sont nés de malentendus et d’une incapacité à s’ouvrir aux désaccords et aux différences de vues. Que derrière les divergences il y a généralement deux personnes qui n’emploient pas les même mots pour dire une chose, ou qui disent des choses différentes avec les mêmes mots, qui voient le monde depuis leur place singulière, et qui ne sont éduquées ni à se parler, ni à se taire, ni à dire oui, ni à dire non.
Arrêtons de « poursuivre », aidons les personnes en conflit à se parler et à négocier leurs propres solutions, avec justesse, éthique et efficacité. L’essor de la Médiation et de la Justice Restaurative le prouvent : sous une revendication, sous une « position » (cf le BA-BA des cours de négociation par William Ury et Robert Fischer) se cachent un besoin que la personne n’a souvent pas découvert elle-même, derrière un bourreau et une victime se cachent deux êtres humains qui on besoin de comprendre comment ils en sont arrivés là. Et comment ils vont continuer à vivre.
Privilégier la prise en charge aux poursuites et aux sanctions, c’est plus simple qu’on le croit. C’est d’abord une exigence à poser. Cela implique de transférer les milliards consacrés à la Justice Pénale et aux prisons pour rémunérer les médiateurs et intervenants de justice restaurative, rouvrir des centres de soins et lits d’hôpitaux, fermer les maisons d’enfermement de jeunes « délinquants » pour leur offrir des infrastructures dignes de tout humain, ouvrir des établissements d’accueils de victimes (par exemple d’inceste tel que la Maison Bru) pour les aider à récupérer, se reposer, se soigner, vivre…
Et surtout, éduquer tout un chacun à savoir traverser les désaccords et conflits sans panique, violence ou rigidité.