Lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine, les Nations Unies furent d’abord agitées par la question de chercher les fautifs : une absence d’anticipation des Nations alliées, les services secrets, la Chine, Wladimir Poutine, la population Russe, la population Ukrainienne, etc. Parce qu’il est insupportable d’être confronté à l’évidence même : on ne peut pas tout prévoir, on ne peut pas tout anticiper. La crise sanitaire liée à la Covid fut aussi marquée par une avalanche de procès contre nos ministres. On aurait dû savoir, se préparer. 

Toute crise, conflit d’une manière générale, déclenche instantanément et avant même la recherche de solutions, celle des coupables et des sanctions. La souffrance est bannie des expériences humaines acceptables. Il aurait fallu pouvoir l’éviter, il faut punir. 

Cette pensée ne nous permet pas d’entrer en relation avec la complexité et avec la vraie responsabilité individuelle et collective. La responsabilité, ce n’est pas de rechercher une cause ou une faute. C’est de regarder le phénomène dans sa réalité brute, de relever ses manches et d’agir en conscience et avec courage pour faire face à une situation déstabilisante, sans s’en remettre à un dominant soi-disant protecteur. 

Mais voilà, en France, la figue du Pater (Dieu, Père, Instituteur, Patron, Président, Ministres, Législateur, Curé, Juge et aujourd’hui aussi Psy) est bien ancrée. Je suis perdu.e ? Je vais chercher pater pour qu’il me comprenne, me défende, me donne raison, éventuellement accuse voire me venge. 

A chaque situation critique on invente une loi. A chaque conflit on cherche le coupable. Faisant fi de la multitude des situations et des singularités humaines, de la complexité du monde et de tout ce qui peut influencer nos comportements. 

Pour véritablement pacifier nos relations et rendre les vies de familles agréables, il est temps de cesser de s’en référer systématiquement aux instances soi-disant plus hautes que nous. D’apprendre à renouer avec notre intelligence naturelle, fondamentale, à notre éthique. En 1804, la vision de l’humain était réduite à peu de savoirs – même si en réalité tout avait été vu et dit dans les différentes civilisations… La société napoléonienne ne connaissant pas la psychologie et encore moins la psychanalyse, utilisait la religion pour normer et imposer un joug moral, a imposé une mythologie colonialiste de toute puissance. Depuis, on a découvert tant de choses… Les neurosciences, la physique quantique, la complexité, la pertinence des raisonnements paradoxaux pour sortir des conflits, l’inutilité des notions de bien et de mal, la mort de Dieu, l’intelligence de la femme (sic) et la dignité de l’enfant… Bref, relisez vos manuels de philosophie pour commencer… 

L’humain n’est pas tout puissant. Sauf éventuellement lorsqu’il en tue un autre ou qu’il détruit la planète… 

Et si on arrêtait de se plaindre à papa ? François Roustang décrit dans son ouvrage “La fin de la plainte”, à quel point la plainte elle-même hypertrophie notre propre perception de nos maux en les figeant et en les exagérant. Elle conduit au ressassement perpétuel, et nous empêche de mobiliser notre intelligence à la conduite d’un changement. Elle restreint nos perceptions en nous intellectualisant et en moralisant la vision des actes. 

Ce cercle délétère se voit au moment des divorces ou des séparations. Les deux conjoints ouvrent des dossiers intérieurs de plaintes – même celui qui prend la décision de rupture doit bien justifier d’un motif – dont il réfère à l’entourage puis à son avocat. Et comme l’avocat n’aime pas non plus se sentir impuissant, il va le renforcer dans son sentiment d’injustice – il croit qu’il est payé pour ça. Et là, souvent, c’est foutu. La machine se bloque et on assiste à des récriminations en boucle qui ne se résolvent pas, même par un jugement qui tranche. “Tout le vin a disparu !” “Et toi, tu as volé les albums photos !” : et ça, ça peut conduire à des procès pendant 10 ans (si, si, c’est vrai – imaginez le montant des honoraires…). 

Et si on acceptait l’idée de souffrir, d’être vulnérables, de voir que nous ne contrôlons que très peu de choses y compris nos propres comportements ? Et si nous cessions d’accorder autant de crédit à notre volonté et à celle des autres ? Et si nous bannissions la rigidité de nos relations normées, y compris quand il s’agit de sexualité ou de relation parentale, amoureuse et familiale ?  

Et si nous posions un regard adouci et compréhensif, respectueux, les uns sur les autres ? Et si nous cessions de nous accuser mutuellement pour accepter la diversité des réalités et en admettant que chacun voit le monde depuis sa propre position qui est relative ? Nous retrouverions beaucoup de discernement, de justesse de vue, de choix d’actions, et de force. 

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