Trois femmes dialoguent à partir de leurs expériences professionnelles et personnelles autour des unions et désunions, des conflits familiaux, de la femme, des hommes, des relations parents enfants, telles qu’elles les vivent ou les observent. Et constatent que nos comportements sont largement influencés par une certaine idée de la justice et du bien tels qu’ils ont été modélisés par la loi civile et pénale formant le socle de nos droits et interdits. Notre nouvelle Bible, sans que nous en soyons conscients, c’est le Code civil (et son complément le Code pénal). Dont le rédacteur en chef fut… Napoléon Bonaparte. 

Nous sommes en +/- 1800. Juste après la Révolution française. La chute de la monarchie fait espérer l’avènement d’un nouveau projet politique et social, une nation renouvelée où le citoyen se serait vu enfin respecté et garanti de liberté par les gouvernants, les élites et les privilégiés.  

Le Code Civil de Napoléon (21 mars 1804), adopté quelques années après des débats que l’on sait bien agités, reprenant certaines propositions révolutionnaires et en écartant d’autres, a unifié les systèmes juridiques épars, oraux et coutumiers qui régissaient les différentes régions de France, en les modifiant. Il est écrit en une seule langue, le français et se veut compréhensible par tous. 

Cette codification et sa propagande de valorisation – on représente Napoléon écrivant les Tables de la loi sous l’œil de Moïse – donnent à la Loi une autorité normative étendue: elle s’impose à tous les français et devient une référence pour leurs mœurs et conduites.  

Le Code civil pose la Loi gouvernementale comme instrument du droit politique et en même temps comme règle morale, réglant les consciences et les comportements, pour l’ensemble des français, pour la première fois.

Cette Loi civile est laïque (Art. 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) c’est à dire qu’elle se détache et même supplante celle de l’Eglise, particulièrement s’agissant des actes d’état civil, des mariages et des divorces. 

Cette laïcité, qui libère en apparence le citoyen du contrôle des Eglises, permet en fait à Napoléon de faire une OPA sur la LOI ! 

(OPA : Offre publique d’achat. Une offre publique d’acquisition (OPA) est une opération lancée par une entreprise pour acheter par une offre offensive les titres d’une autre société cotée en bourse, et en prendre le contrôle. Il s’agit quasiment d’un kidnapping voire une Blitzkrieg. Si vous ne savez pas ce qu’est une Blitzkrieg, révisez votre histoire du XXème siècle.) 

Le Code civil de 1804

Son objet : « Un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité. » (Portalis : Exposé général) En résumé, il structure les rapports sociaux. 

Quelques uns des principaux sujets : 

* La famille, légalisée comme modèle, a pour objet d’assurer l’ordre et la transmission des patrimoines par lignées, sous l’autorité du père, doté légalement de “puissance” (c’est à dire de prérogatives particulières) sur femme et enfants. Vous pensez que le droit de la famille a évolué ? Pas tant que ça…

Du coup, il faut tout refaire ! Car peut-on vraiment encore s’engager par contrat au XXIème siècle à la fidélité et au « devoir conjugal » alors que la liberté sexuelle (de désirer et de rejeter, de consentir et de s’opposer) est aujourd’hui reconnue comme un droit humain inaliénable ?

La faute conjugale répond-elle aujourd’hui à une utilité sociale et politique, alors que le mariage est dans l’esprit des époux essentiellement intime et sentimental, donc, soumis aux aléas et à la volatilité du désir, des cœurs et des corps ?

Saviez-vous aussi que le féminicide était pour ainsi dire autorisé par la loi de Napoléon ? Art. 324 du Code Pénal : « En cas d’adultère, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable » ? Vous aurez noté : “Le meurtre de l’époux sur son épouse”. Pas l’inverse évidemment. On a trouvé la justification apportée par les rédacteurs de l’époque ici et ici, c’est affligeant. L’idée est de dire que la femme adultère commet un acte plus grave car elle introduit des enfants non issus du père dans la famille, tandis que le mari adultère non (il se contrefout du fait que ses enfants « adultérins » iront dans d’autres familles…).

Peut-on affirmer que nous avons vraiment changé aujourd’hui quand on compte le nombre de meurtres de femmes par leurs conjoints ou ex-conjoints ? Que tant de personnes emploient encore ce sinistre mot « adultère » pour parler d’infidélité ou de relation extra-conjugale ? Que l’on trouve généralement normal de jeter son conjoint dehors d’un jour à l’autre, privé de son logement et de ses enfants, au motif qu’il a été infidèle ? Dehors ! En slip et humilié, coupé des enfants, eh oui l’infidélité demeure infamante… et justifierait une vengeance radicale insensée et violente. Et tout cela, à une époque où le ”commerce” (publicité, journaux et magazines, séries, sites internet, émissions…) stimule en permanence notre désir sexuel et nous incite à la multiplicité des partenaires réels et virtuels ?

* Le droit de propriété est déclaré « absolu ». Chaque propriétaire est libre de jouir et de disposer de ses biens comme il l’entend, à condition de ne pas en faire « un usage prohibé par les lois et les règlements » (art. 537 et 544). Et ce qui n’appartient à personne en particulier appartient à la nation (art. 539). C’est tout simple. La liberté du commerce en est le corollaire (l’accession à la propriété se fait notamment par l’effet des “obligations” c’est à dire les contrats (art. 711)).

Tout peut être objet de propriété : biens, sols, animaux (qui entrent dans la catégorie des meubles)…[pour un joli exemple sur les abeilles] Il nous semble encore aujourd’hui évident que nous pouvons être “propriétaires” d’animaux, et non seulement leurs gardiens, avec pouvoir de vie et de mort sur eux, notamment pour la filière agricole et alimentaire. Même si… au sujet des animaux… on commence à se demander…

On rappellera aussi, même si le Code civil est taisant sur ce point, que Napoléon avait, deux ans avant la promulgation du Code civil, rétabli l’esclavage dans les colonies françaises… 

* La responsabilité civile régule les relations et conflits en instituant une règle intangible : “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.” (Article 1382 du Code civil)

Cela vous semble normal ? Chez Codecivelle, nous pensons que cette trilogie : « Préjudice – Faute – Réparation » repose sur un principe, une « loi naturelle » fausse, cohérente au XIXème siècle mais obsolète au XXIème siècle. Cette règle est au surplus une systématisation de la recherche de bouc émissaire, c’est la légalisation de la vengeance.

Nous voyons des sourcils se froncer… Quand même, quand on cause du tort, on paye c’est normal ! On essaiera de vous expliquer pourquoi et comment on pourrait, non, on devrait, essayer de voir les choses autrement.   

EN RESUME, le Code Napoléonien instaure des relations légales inégalitaires (il y a le père, le propriétaire, le maître, l’employé…), promeut la victimisation et la vengeance sur un bouc émissaire, et fait peser sur les personnes de lourdes contraintes morales et légales.

Nous sommes encore régis par ces principes.

IL FAUT TOUT REPRENDRE A ZERO ! 

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Nous ne sommes ni historiennes, ni sociologues, ni psys. Nous sommes trois femmes, trois visions du monde, trois corps et trois pensées, et nous inviterons régulièrement des contributeurs (autres sexes bienvenus !) pour nous aider.

Nous cherchons à montrer à quel point la loi civile de Napoléon – imprégnée de la moralité catholique et des “valeurs” de la France coloniale (sic) – a pénétré nos mentalités, notre vision du monde et teinte encore aujourd’hui nos relations personnelles et nos réactions face aux conflits. C’est cette influence ancrée que Codecivelle a envie de questionner. 

Le travail de refonte est important. Il ne peut partir que du plus profond, tant le Code Napoléon nous a imprégnés et tant il est obsolète, pire, destructeur. 

Nous voulons interroger principalement :  

  • les relations hommes femmes - leur complexité,  
  • le sacro-saint « consentement » - sa pertinence et ses limites,  
  • le couple - va-t-on vraiment plus vite seul et plus loin à deux ?,  
  • le corps et tout ce qui le concerne - avons-nous ou sommes-nous un corps,  
  • les relations adultes enfants - comment vivre et agir avec les enfants dans le respect dû à leur personne…  

et tout ce qui nous traversera… 

Chez Codecivelle, nous voulons que l’harmonie des rapports sociaux et la place de l’humain dans le monde se concilie avec la liberté de chacun – hommes, femmes, enfants – ceci passant par un profond respect et acceptation des différences, une exigence de poser un regard égalitaire sur tous les êtres et de travailler notre amour fraternel. 

Codecivelle est à la recherche d’une nouvelle vision dans un geste ascendant : examinons nos comportements et dessinons les contours d’une éthique, pour chercher le juste vers lequel tendre dans un monde complexe.  

Chaque chronique devra se déployer à partir d’une expérience et non d’une idée. Nous ne voulons pas nous laisser emporter dans du verbiage manipulateur. Et sur la base de ces récits incarnées, nous proposerons des réformes pour l’émergence d’un Codecivelle. 

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Codecivelle, une tribune de recherche pour une loi civile vivante, pédagogique, amoraliste, réaliste et idéaliste. 

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Pour aller plus loin vous trouverez quelques développements et références ici à l’article « Le projet : pour aller plus loin »